On foule le sol tunisien en fin de soirée. Il nous faudra encore bien une heure de patience et de formalités douanières avant d’être vraiment libres. Ensuite, on devra encore rouler un peu pour sortir du port de Tunis et des quartiers alentour qui ne nous inspirent pas trop. Sur le coup des 2 heures du matin, on peut enfin s’effondrer de sommeil.
On décide d’attaquer le pays par la côte, en descendant à un bon rythme pour rallier en une semaine l’île de Djerba. Arrêts successifs à Yasmine Hammamet, Sousse puis Monastir. A chaque fois, un schéma similaire : une jolie médina (centre historique), une partie moderne moins attrayante et un bord de mer. L’eau et les plages sont plutôt jolies, avec des nuances de bleues incroyables pour l’eau, ce qui n’est pas sans rappeler la Thaïlande. On a du plaisir à déambuler le nez en l’air dans les labyrinthes que sont les médinas, paisibles et avec un côté mystérieuses. On passe de longues minutes à s’extasier devant de splendides portes en bois cloutées. Mais on éprouve des sentiments mitigés au cours des premiers jours. D’une part, il y a l’excitation de vivre un dépaysement de plus, avec certains codes des régions musulmanes désormais connus et d’autres totalement nouveaux. Il faut se réhabituer, retrouver ses marques, éprouver une nouvelle fois cette sensation de flottement et de ne rien comprendre à la langue, à l’écriture. De l’autre part, on a beaucoup de mal à se départir des clichés et on se montre très (trop ?) prudentEs et méfiantEs. A part ça, il faut dire que, une fois de plus, les déchets partout et en grande quantité nous choquent. Les ordures, la saleté, en ville, dans les campagnes. Comme lorsqu’on roule par exemple entouréEs d’oliviers entre Sousse et Sfax, mais qu’il y a tellement de plastiques dans les champs…
C’est la basse saison, pas mal d’hôtels sur la côte sont donc fermés. Beaucoup semblent cependant aussi à l’abandon, passablement délabrés. L’absence de clientèle à cause de la pandémie a vraiment fait des dégâts, d’après ce qu’on nous dit. Et même de manière plus générale, tant économiquement que politiquement, la Tunisie ne va pas bien. C’est peut-être des analyses de café du commerce, mais on remarque beaucoup de gens dans la rue qui sortent de la boulangerie avec 6 ou 8 baguettes (8 centimes suisses environ l’unité) dans un sachet. Du pain, de la harissa – le condiment local à base de piments, ail, huile et épices – voilà comment faire patienter l’estomac en attendant des jours meilleurs. On dresse le constat qu’en Turquie en fait, où l’inflation n’avait pas l’air de vouloir s’arrêter…

On navigue alors les premiers temps dans cette atmosphère un peu spéciale. Certains endroits sont certes très beaux, mais quand même toujours un peu négligés. Pour couronner le tout, on tombe sur un nombre incalculable de boucheries le long de la route, qui ont toutes la manie de suspendre directement sur le trottoir des moutons entiers fraîchement égorgés. Plus loin, ce sera des têtes de vaches, et – spoiler alert – des têtes de chameaux dans la région du désert. Ambiance.
Les jours s’écoulent, on trouve le moyen de se rebooster et sûrement qu’on finit aussi par s’acclimater gentiment. Le temps est tout à fait ensoleillé, plutôt frais le matin et le soir, mais rien de bien dérangeant. La mer est quand même sacrément belle, le sable si blanc. On aperçoit les premiers dromadaires, un vrai symbole ! On rigole en entendant comment, quand iels parlent en arabe, les gens glissent systématiquement des mots ou des expressions françaises dans leurs phrases. C’est flagrant à la radio qu’on écoute en roulant. On ne pige pas vraiment le principe, c’est super spécial. Les personnes que l’on rencontre parlent un français là aussi bizarre. Beaucoup disent avoir oublié le français. D’autres affirment ne pas parler mais semblent comprendre quand même sans pouvoir nous répondre ensuite. D’autres enfin continuent de nous parler en anglais après avoir répété trois fois qu’on parle français. Les échanges virent souvent assez vite au dialogue de sourds !
Elu saveur de l’année
Plein de choses nous font au final assez rire ou sourire. A chaque fois qu’on roule, c’est un spectacle grandiose. Les boguets sont monstre tendance ici, et tellement pratique pour trimballer la grand-maman et les cousines ! Les scooters sont plus ou moins défoncés, certains n’ont plus de carenage et n’ont conservé que le strict minimum pour avancer. Au niveau voitures, on tombe sur de sacrées poubelles. Le tout dans une joyeuse fumée bleue qui laisse penser que les filtres antipollution ne sont pas forcément obligatoires.
On aura quand même croisé un type assis sur le large matelas qu’il transportait avec sa petite moto, à nouveau des camionnettes bien trop chargées, et aussi une voiture aux couleurs du « GIC », le « Groupe d’Intervention de Choc »…
Plus on se rapproche de la Libye, moins il y a des stations-services. Par contre, plus il y a de stands au bord de la route, avec des mecs qui vendent de la benzine en jerricanes ramenés depuis le pays voisin. L’essence est déjà relativement bon marché dans les stations « officielles », 60 centimes le litre. Elle coûterait, selon nos informations, encore deux fois moins, dans ces points de vente sauvages…
Pour en revenir au chapitre des choses marrantes, il y a plein de références à ce qui était à la mode en France…au début des années 2000. De la pub pour des produits « élus Saveur de l’année » et autres slogans plutôt vintage. L’assortiment des supermarchés est plutôt limité comparé à l’Europe et le pays connaît des pénuries de certains produits depuis des mois. Par contre, le rayon des « crèmes dessert » genre Danette continue, lui, de s’étendre sur des dizaines de mètres. Boire un petit berlingot de Danao puis le jeter par terre ou sur le sable, c’est très tendance apparemment. Les noms des bars à café prêtent aussi à sourire et multiplient les références à l’Hexagone. Le préféré de Valou : le Café Parc des Princes.
Et puis Djerba nous tendit les bras
On pensait d’abord complètement zapper la bien fameuse station balnéaire de Djerba. Puis on a réalisé que c’était une île. Qu’elle était en fait tout proche de la côte. Qu’il n’y avait finalement pas que des resorts. Ni de trop grande ville. Qu’on pouvait y arriver en quelques minutes depuis le continent en prenant le « bac », puis qu’on pouvait en repartir par une « voie romaine », sorte de très long pont plus à l’est. Alors on s’est décidéEs à tenter le coup quand même. On avait aussi repéré un « salon du tourisme durable » qui devait se tenir dans l’un de ces grands hôtels. On n’a finalement jamais mis les pieds à cet événement, on a par contre rencontré d’autres voyageurs, dont une famille franco-tunisienne contactée via Instagram. Elle nous a emmenéEs sur une superbe petite plage. On a refait le monde et fait le plein de bons plans pour la suite. Philou a réparé le gaz d’une des deux plaques de cuisson qu’on pensait fichu depuis plusieurs mois. On a rencontré des couchsurfers à Houmt Souk, principale bourgade au nord de l’île, qui nous ont fait goûter la cuisine locale. On a eu droit à une mini-tempête de sable, mais surtout à l’une de ces journées où le ciel vire au orange/ocre à cause du sable dans l’air. On a tenté de ressortir les vélos un jour de grand vent. On s’est baladéEs dans les jolies ruelles où s’alignent de mystérieuses maisons protégées par de grands murs blancs. On a visité un village où ces mêmes murs sont décorés de superbes fresques. On s’est échouéEs sur une autre plage où le gérant super sympa d’une école de kitesurf nous a accueilliEs. Monder, avec son accent à la fois belge et arabe quand il parlait le français, a insisté pour qu’on se parque devant son école. Il nous a laissé l’accès aux toilettes, à la douche et la lumière pour la nuit. Le lendemain matin, il a même débarqué avec du pain…
Après tout ça, satisfaitEs de la découverte de Jjjerba, comme disent les FrançaisES, on a mis le cap sur un nouveau gros morceau tunisien : le désert. Chaud devant !