On passe encore quelques semaines en Tunisie. L’objectif d’échapper au froid de l’hiver européen a été dans son ensemble atteint. On a bénéficié de journées très ensoleillées et avec des températures agréables. En soirée par contre, c’était moins chouette pour se tenir dehors, il a même fait certaines fois carrément frais.
Voilà qu’on retient de cette dernière partie de l’expérience tunisienne:
- La fin de la traversée du « Grand Sud » nous a tout autant enchantéEs que le début. Toujours des paysages incroyables, beaucoup de sable, des oasis et des oasis de montagne. Ces derniers – on s’en doute – se situent au pied de belles collines. Leur environnement est plus rocailleux, mais on peut toujours voir de très grandes et très belles palmeraies. Il y a quelques cascades, quand elles ont encore de l’eau. Pas mal de rivières sont asséchées et le précieux or bleu commence sévèrement à manquer.
- On est passéEs par le (petit) parc national de Bouhedma, conseillé par des FrançaisES avec qui on a rapidement échangé sur un parking. L’intérêt de cet endroit, c’est qu’il abrite des animaux de la savane : antilopes, gazelles, oryx, sortes de bouquetins des plaines. Ca a été une grande aventure pour y arriver parce que rien n’est vraiment prévu pour les visites. On a cherché pendant longtemps, puis finalement obtenu en dix minutes une autorisation d’entrer dans la réserve qui, la veille, ne pas pouvait être prête avant une semaine… Débute alors un safari improvisé à bord du van de nos potes alémaniques, avec un employé du parc pour guide. C’est pas le Kenya, mais il n’y a que nous! Pour les photos par contre, inutile de dire que ça a été mission impossible. On devra se contenter de quelques clichés montrant les bêtes de très très loin.

- On a aussi traversé le nord du pays d’ouest en est, en roulant dans des paysages beaucoup plus verts et vallonnés. Escales dans les villes de Tabarka et de Bizerte. On a essuyé des échecs cuisants en voulant rallier deux caps. Les routes sont assez mauvaises et ces endroits ont très peu d’intérêt en fait. On se rappellera aussi de la Garde nationale, venue nous réveiller 1 soir et 3 nuits de suite pour nous escorter vers un endroit « plus sécurisé ». On ne se sentait pas franchement en danger, on a plutôt expliqué leur venue par la proximité avec la frontière algérienne (apparemment, présence de groupes rebelles dans ces zones mais rien d’avéré) et par la consigne bienveillante mais un peu stupide que reçoivent les agents de prendre soin des voyageurs/-euses pour donner une bonne image de leur pays.
- Jolie session de grimpe dans le massif du Djebel (montagne) Zaghouan. Il y a plusieurs secteurs, parfois assez mal indiqués mais qui ont été bien équipés il y a une dizaine d’années. Les voies se gravissent avec une belle vue sur une vallée et sur la plaine en arrière-fond. On grimpe seulEs et par une météo un peu tristoune. On ne dort pas loin d’un camp scout, dont les participantEs n’ont de cesse de brailler des chants en marchant en file du matin au soir. Ou comment occuper des ados à moindre frais.

- On a vécu la préparation et au début du Ramadan. Sans malheureusement avoir l’occasion de vivre un « iftar » (rupture du jeûne) avec des praticantEs. On a par contre pu voir tout ce qui se tramait les jours avant, constater que la vie continue pendant la journée mais qu’on se sent un peu seulEs en allant boire un jus. On a quand même réussi à discuter un peu de ça avec les gens. Philou et son éternelle question : « Alors, ce ramadan, pas trop dur ? » . On imaginait une monstre fête tous les soirs, pas vraiment finalement. Juste un bon repas. Les gens sortent ensuite plutôt dans les bars ou faire un tour. Et iels remangent tôt le matin encore une fois. Les nombreux fast food qui servent tout un assortiment de sandwichs le reste de l’année se convertissent pendant Ramadan en échoppes de biscuits trop sucrés et trop gras. Un moyen de continuer à travailler un peu. Dans la rue, les hommes qui zonent sur le trottoir ne savent pas bien quoi faire de leurs mains. Les téléphones remplacent les nombreuses cigarettes. Dans les magasins d’alimentation, l’agitation est grande, il s’y vend beaucoup de spécialités consommées uniquement durant le mois de jeûne. Ça ne doit pas être évident de faire les courses, et cuisiner ensuite le ventre vide sans craquer et goûter une morse de toutes ces bonnes choses.
Et puis on retrouve les ZurichoisES Michi et Luschka pour prendre ensemble le ferry qui nous ramènera vers l’Europe. On renonce à visiter Tunis, les grandes villes et leur chaos à tout point de vue nous ont découragéEs pour de bon. L’aventure tunisienne se termine donc là où elle a commencé, dans le port de La Goulette. On comprend assez rapidement que cette traversée sera tout aussi folklorique que les précédentes. Après avoir attendu plusieurs heures au mauvais endroit, un type sorti de nulle part finit par nous dire qu’il faut aller ailleurs dans le port pour s’enregistrer. On part s’encolonner ensuite dans un joyeux bordel de camionnettes, de motos et de camping-cars. Il commence à faire nuit, des bikers italiens discutent à côté de leur bécane. Un vendeur ambulant pousse un chariot rempli de chameaux en peluche, de cartouches de cigarettes et de boîtes de dattes. Il y a aussi des jeunes qui zigzaguent entre les véhicules. On sait que l’attente ne fait que commencer, on passe le temps comme on peut. Puis Philou remarque quelque chose qui bouge sous le petit camion arrêté devant nous. On voit bel et bien une jambe dépasser. On n’est pas sûrEs de bien comprendre la scène, même si en se regardant tous deux, on a la même idée. Philou sort y voir de plus près. Il n’y a personne dans la cabine du camion. Par contre, il y a bien quelqu’un qui est en train d’essayer de se cacher dessous. Ouuah. Qu’est-ce qu’on fait ? C’est dangereux d’aller se mettre vers le moteur, non? On va en parler à nos deux amiEs qui sont un peu plus loin. On avertit le conducteur ? Alors que plein de questions fusent, le conducteur, justement, finit par arriver. Il s’avère qu’il fumait un peu plus loin et a, lui aussi, observé la scène. Il s’approche de l’arrière de son camion et en fait gentiment sortir la personne cachée dessous. On met alors un visage sur ce corps. Un jeune tout freluquet, avec un simple training, aucun sac, aucune affaire. Il quitte sa cachette, l’homme lui tape sur l’épaule et lui demande de s’en aller. Il a la classe de faire ça discrètement, sans chercher à attirer l’attention. On échange des regards avec lui, mi-abasourdis, mi-gênés, on se fait un signe de vigilance. On est choquéEs. Nous, tranquillement installéEs dans notre super véhicule, à pouvoir circuler librement et comme bon nous semble. A se plaindre parce que le bateau n’est pas à l’heure. Ce jeune, avec le contenu de ses poches pour tout bagage, piégé aux limites d’un territoire dont il ne peut pas sortir alors que le continent voisin est si proche…
On repense à cet épisode durant une bonne partie du trajet en mer. Une façon cynique et douloureuse de quitter le Maghreb et qui nous rappelle, une fois encore, à quel point ce monde est inégal et injuste…